lundi 16 janvier 2012

Haou Airen


Pourquoi Haou Airen ?

C’est assez impudent en effet de commencer mon premier avis-de-mamie par Haou Airen. J’entends vos voix s’élever : « Quoi ? Mais ce n’est pas un vrai shôjo ça ! »  Il est vrai qu’on le considère rarement comme un manga à destination des jeunes filles. Trop de scènes de viols et de mafia chinoise sans doute. Officiellement c'est donc un josei (manga à destination d'un public plus âgé que le shôjo), même si j'ai beaucoup de mal à comprendre justement comment une femme plus mature peut lire ça.
Voyez le paradoxe.

Mais si Haou Airen a sa place ici, c’est parce qu’il est un véritable shôjo dans l’âme. Son héroïne n’a rien de la jeune femme typique de josei qui aurait de la répartie et/ou du caractère (enfin, à peu près aussi souvent que sont ouverts les bureaux de l’administration française). Non, il s’agit d’une jeune lycéenne tout ce qu’il y a de plus shôjesque. C’est même le parangon de l’héroïne de shôjo ! Découvrons alors ensemble cet ouvrage.

Fiche technique :

Titre :覇王·愛人Haou Airen
càd : Plus ou moins « la p’tite copine du maître suprême (de-sa-mère-qui-tue-tout »). Non, on ne sent pas tout de suite le complexe ni les fantasmes de l’auteur, non.
Auteur : 新條まゆ Shinjō Mayu
>> Il va sans dire que c’est un de mes auteurs préférés en matière de shôjo-nanard.
Volume : 9
Chapitres : 50
Date : 2002-2004
Genre : Dark-shôjo-je me fais entuber et j’aime ça
Edité en France : Hélas, non. Déçus ?

Synopsis-Spoiler :
Kurumi (une jeune lycéenne japonaise, bête mais méritante) pose un pansement sur le bobo d’Hakuron, un redoutable parrain de la mafia chinoise (et accessoirement, héritier du trône de Chine). Séduit par la témérité de cette belle-mais-pas-trop inconnue, le parrain la ramène en Chine où ils vivront leur grand amour. Mais : peut-on vivre le grand amour quand on est une innocente reine des nouilles et qu’on aime un homme qui tue, vend de la drogue/des armes, et encourage la prostitution… ?
>>Kurumi et Hakuron traverseront leur lot d’épreuves, toutes plus terribles et stupides les unes que les autres, jusqu’à ce que (enfin, ô grands dieux, merci) quelqu’un ait la bonne idée de tuer le héros et de mettre fin à tout ça.

Pour qui est Haou Airen ?
Haou Airen s’adresse au cœur de midinette d’une lectrice en particulier. Celle qui se sent pas trop jolie, pas trop maligne, fade, éternellement médiocre, dotée d’un complexe d’infériorité cuisant. L’éternelle laissée pour compte. Celle dont l’insipide personnalité la pousse à ne jamais savoir quoi faire et qui finit immanquablement par suivre ce que font les autres et/ou ce qu’ils lui disent de faire. Toute l’histoire de sa vie.
Celle qui, dans le fond, ne rêve pourtant que d’une chose assez simple : briller au-dessus de tout le monde. Au-dessus de l'univers. À travers quelqu'un d'autre (faut pas déconner). Enfin ! Elle a son shôjo à elle où elle pourra voir le dernier des rebuts en matière de midinette impotente devenir LE GRAND AMOUR DU MAÎTRE SUPRÊME. Oui, lui, personne d’autre. 

Caractéristiques classiques du shôjo : 9/10

>>Dans ce shôjo, nous rencontrons nos incontournables classiques (cf les articles sur le shôjo en kit) :

-Le héros est un dark-prince, à la fois mafieux-héritier du trône de Chine-lycéen 1er de la classe,  populaire, qui fait 30 ans mais en a 18, est beau-grand-fort-ténébreux, est prêt à tout pour celle qu’il aime (mais ne sait pas forcément comment s’y prendre, pauv' bichon).

- L’héroïne a bon cœur, est courageuse (au moins 5 bonnes minutes), méritante (elle vit une tragédie : orpheline de père, sa mère est malade, c’est donc elle qui prend soin de tout le monde). Elle ne sait pas descendre les escaliers, est dénuée de force de caractère et de personnalité. Jusqu’au bout, je me demanderai qui a le plus de charisme et de personnalité entre Kurumi et les pantoufles en peau de chinchilla mort de Hakuron. Les pantoufles gagnent.

- La connasse de meilleure amie combinée au personnage de l’ex machiavélique.
- Tout le monde tombe amoureux de Kurumi (ou presque).
- Les points forts de l’intrigue ne tiennent la route que par la classique absence de communication entre les personnages et leur mémoire de poisson rouge associées à l’arrêt momentané du fonctionnement des neurones de Kurumi.

 En bonne héroïne, Kurumi pense à trébucher sur un sol plat afin de tomber avant de se faire violer

Je ne mets pas 10 en raison de la surabondance de « viols par amour » qui ne collent pas tout à fait avec le shôjo par excellence où le héros (qu’il soit dark ou brillant) demeure tout de même trop amoureux pour en faire autant baver à l’héroïne…

Haou Airen, dans le détail :

Avant toute chose, je salue le courage de la mangaka qui a fait naître ce manga et qui, pas une seule seconde, n’a eu honte d’empiler ses fantasmes, de les fourrer sans retenue avec ses complexes, pour nous les servir copieusement entre deux bouchées de facepalm.

Parce que Haou Airen, c’est vraiment LE manga où vous vous sentez gêné pour l’auteur. Plus ça avance et plus elle met à l’épreuve votre compassion humaine. Ceux qui avaient déjà trouvé que Stephenie Meyer (mais si… l’auteur de Twilight) les mettait mal à l’aise en étalant au grand jour son fantasme du dark-dominateur-parfait-plus-grand-plus-beau-plus-fort, conçu sur mesure pour la protéger, n’ont encore RIEN vu, tant qu’ils n’ont pas lu Haou Airen.

Il y aurait tellement de choses à dire sur ce shôjo qui s’étend et s’étend sans jamais vouloir finir, et où chaque nouveau chapitre a un arrière-goût de déjà-vu :
 « Tiens, mais tu te fais violer Kurumi ? / Tiens ! Mais tu te fais encore violer ? Attention Kurumi, je crois qu’on va te viol… »

Haou Airen est un tel ramassis d’émotions affligeantes, de clichés exaspérants, qu’il serait impossible de tout détailler ici au risque de faire une chronique de plusieurs mois. Je passerai donc sur le fait que l’auteur ait  30 ans de retard en matière de cool-attitude et ait ainsi choisi de coller au héros un "imperméable-cape de vampire" :

"Je suis riche et j'ai l'air cool grâce à mon imper-cape-de-vampire. Bon ok c'est pas pratique dans ma profession, il glisse dès que je dois courir ou tuer quelqu'un. Mais j'ai l'air cool. Oh et puis, ta gueule."

Je passerai également sur le sacro-saint "Je te protégerai" de la part du héros qui, pour un type qui passe les 3/4 de l'histoire à violer la fille qu'il aime, perd quelque peu en crédibilité. Je passerai sur le cliché shojoesque qui veut que pour le héros-type (ou anti-héros), il faut toujours que la nana se mette à pleurer pour qu’il comprenne que le viol, c’est mal (« Ah tiens, elle pleure…. Hmmm… est-ce que le fait que je viens de lui arracher ses vêtements et de la plaquer contre un mur pour l'agresser  sexuellement y est pour quelque chose ? Hmm… dans le doute, on va dire que oui. Mais j’aurais jamais cru… »). Je passerai sur tout cela, pour aller à l’essentiel en matière d’affliction.

Haou Airen, c’est avant tout une héroïne qui, pas une seule seconde, n’a quoi que ce soit pour la personnaliser. En dehors d’une paire de gros seins, sa grande gentillesse/sollicitude et ses talents culinaires. Point. Nous n’en saurons jamais plus sur elle, car il n’y a rien de plus à savoir.

Plusieurs fois on lui offre la chance de se servir de son cerveau mais elle refusera poliment. Et ce n’est pas plus mal qu’elle soit vide de toute personnalité car son rôle, pendant la grande majorité du roman, consistera à se faire violer ou à faire l’amour (suivant l’humeur du héros) avec Hakuron (et parfois d’autres gens) et… c’est tout.
C’en est à un tel point qu’à un moment elle n’a plus besoin de s’habiller, elle se balade en nuisette aux côtés d’Hakuron, qui la traîne avec lui au cas où il aurait besoin de passer la violer dans les heures qui viennent. Ce qu’il fait d’ailleurs :
"Bon, j'ai une réunion alors attends-moi sagement dans le couloir, je reviens te violer après." 

Avec bien sûr l’éternel cliché de la fille qui ne peut pas marcher droit ensuite tellement c’était intense, qui rougit après tous ces baisers, qui n’a besoin de rien de plus, l’amour (insérez autour de ce mot autant de guillemets que nécessaire) d’Hakuron lui suffit etc.

>>Voyez donc la problématique : Dans ce monde merveilleux que rien (*tousse, tousse*) ne semble pouvoir ébranler (pas même les coups de butoir d’Hakuron), comment créer des tensions ? (sans rendre Hakuron impuissant, j'entends, sinon, l'histoire s'arrête évidemment aussi sec).

Eh bien tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes si Hakuron avait été libraire ou comptable (mais il aurait moins fait fantasmer l’auteur).
Mais comme il est mafieux, vous devinez bien comment ce maître suprême du mal s’oppose à ce doux et innocent cœur de laitue qu’est Kurumi. Histoire de créer des soucis, Kurumi va donc se rappeler de temps en temps qu’elle sort avec un type qui tue des gens. Ce qui bien sûr, va créer des tensions et les opposer.
Comme ce ressort scénaristique ne peut durer qu’un temps (assez long comme ça), l’auteur va ensuite faire intervenir la connasse d’ex/meilleure amie : Lei Lan. Mais comme l’auteur manque d’idées, Lei Lan va utiliser le même ressort pour créer de la tension  : « Eh, tu savais que ton mec, c’était pas un gentil ? » « Hein ? Meeeerde… »

Penchons-nous sur le personnage de Lei Lan qui le mérite vraiment. Cette jeune fille riche et belle aime Hakuron de tout son cœur. Kurumi est donc son ennemie numéro 1. Elle va choisir de « manipuler » Kurumi en prétendant être son amie, et va lui dire des horreurs sur Hakuron (« Et tu sais quoi ? Je crois que ton mec… il vend des armes et tue des gens ! » « Sans déconner ? Quel salaud ! Je croyais qu'il était comptable ! »).

Étant donné qu’à part différents fluides, Kurumi et Hakuron ne partagent pas grand-chose, Kurumi va bien sûr croire tout ce que lui dit Lei Lan. Le fait que Lei Lan soit l’ex jalouse de son mec et ait tout intérêt à les séparer ne lui effleurant pas l’esprit.

Lei Lan, cependant, n’est pas une reine de la patience ou de la subtilité. Après avoir passé quelques minutes par jour à parler vite-fait avec Kurumi histoire de vaguement créer une relation amicale durable, Lei Lan va révéler son vrai visage au grand jour en soumettant Kurumi à un viol collectif (tout est normal). Et en en étant la spectatrice, rire sardonique aux lèvres, sans aucune autre émotion que la joie ultime de voir Kurumi souffrir.

Peut-être que quelqu’un de normal comprendrait alors que Lei Lan n’est pas franchement sympa. Ni vraiment équilibrée. Mais pas Kurumi, elle est trop conne gentille et généreuse. Kurumi va donc plutôt s’excuser auprès d’elle, car elle l’a rendue malheureuse en étant la petite copine d’Hakuron, elle lui a brisé le cœur, c’est pas joli-joli quand même. C’est donc manifestement de sa faute si Lei Lan en vient à de telles extrémités, tout le monde ferait de même.

 "Pardon de n'avoir rien fait de mal"

Moi-même je n’ai pas hésité à kidnapper et torturer ma boulangère le jour où elle m’a vendu une baguette de pain trop cuite (mes pauvres vieilles dents ne l’ont pas supportée, je lui ai donc arrachés toutes les siennes, les lui ai faites avaler, et je lui ai perforé les poumons avec mes nouvelles dents en titane pour bien lui faire comprendre de ne plus jamais recommencer).

Lei Lan n’est donc pas du tout une impitoyable tarée, c’est juste une pauvre petite fille au cœur brisé. Soit, admettons. Mais elle lui a tout de même révélé que leurs échanges amicaux étaient faux, qu'elle avait fait semblant d'être sa copine, tout ça. Eh bien… oui mais non, shôjo special reverse (un classique) : Kurumi lapin comprit.
Histoire d’en rajouter une couche pourtant, Lei Lan clame que Kurumi n’aura jamais la paix et qu’elle la pourchassera jusqu’à ce qu’elle meure, harr harr harrr. Ce qui, même quand on est juste une triste femme au cœur brisé, est un peu extrême. Mais non. On ne sait pas pourquoi, Kurumi ne percute pas.

Elle a donc une fébrile psychopathe en face d’elle, qui lui explique qu’elle s’est bien servie d’elle, et qui est prête à l’assassiner. Hakuron, faisant pour une fois preuve d’un peu de bon sens, tue donc Lei Lan. Et Kurumi est bouleversée, affligée (« Meeerde ! Il tue des gens ! J’avais encore oublié ! Quel monstre, je dois le quitter ! »). Parce que Hakuron a tué sa... meilleure amie.

Kurumi hurle et pleure donc sincèrement cette tendre amie (aliénée, cruelle, manipulatrice, fausse et dangereuse MAIS qui lui tenait la porte des toilettes), car Lei Lan lui dit avant de mourir, avec beaucoup de sincérité, qu’elles seront les « meilleures amies du monde » dans une autre vie…
Passer dans la minute de « Je vais te torturer puis te tuer salooope car l’homme que j’aime ose t’aimer » à « J’espère qu’on sera les meilleures copines un jour, bisous. » n’étant étonnant pour personne, Kurumi encore moins.

Kurumi pleure et clame ainsi que Lei Lan était son AMIE, hein, parce que, attention : déjà, elles se sont bien parlé aux moins 5 minutes dans les couloirs entre les cours, et ensuite, parce que le fait que l’amitié ait été simulée n’entre pas en compte. Car, rappelez-vous, nous sommes au Japon : l’apparence compte plus que le fond (comment ça je caricature ? Ah ben, je fais l’effort de trouver une explication rationnelle et tout de suite on râle… jamais contents).

À partir de là, Kurumi déteste l’homme qu’elle aime, et lui décide de la violer pour pas qu’elle le quitte (non mais, ne cherchez pas).

Elle va le quitter, il va la retrouver, recommencer, puis la refiler à un de ses sbires pour euuuh… parce que.
Ils sont persuadés l’un l’autre qu’ils ne s’aiment pas (en même temps, c’est un doute légitime : il est difficile de comprendre sur quoi repose leur grand amour). Et ils vont donc en souffrir terriblement (parce que discuter et se rendre compte qu’en fait, ils s’aiment et tout est pardonné, bah, ça ferait des tomes en moins).

Tout ça va durer indéfiniment jusqu’à ce que l’on trouve une lettre-testament de Lei Lan qui y raconte combien hahaha elle a bien manipulé son monde et qu’elle a fait tout ça pour que Kurumi, cette greluche sans cervelle, déteste Hakuron, et qu’elle est trop douée tout ça, même si bon, une fois morte, ça ne lui sert pas des masses.

On ne sait pas pourquoi, Kurumi comprend alors ENFIN que Lei Lan est une « méchante » et n’était pas vraiment sa meilleure amie. Scoop. Tout pourrait aller mieux mais Kurumi tombe dans un escalier (sans raison) et perd la mémoire.

 Ce qui est l'occasion pour l'auteur de faire preuve de tout son talent dans l'art de la perspective.


 Histoire que Hakuron soit vraiment le héros parfait et que ça tienne la route, il décide de quitter la mafia pour vivre heureux avec Kurumi et de recommencer à zéro.
Sauf qu’on ne quitte pas la mafia comme ça, et qu’un dark-héros-plein aux as et plein de pouvoir n’a plus aucun charisme une fois devenu sdf (ou comptable).

Aussi, l’auteur ne pouvant pas continuer comme ça, Hakuron redevient mafieux, Kurumi retrouve la mémoire, Hakuron essaye d’être tout gentil avec elle mais n’y arrive pas, il n’a connu que haine et violence, donc il menace de la tuer si elle ne l’aime pas à la folie (tout est normal) et Kurumi, le gun dans la face, lui dit qu’elle l’aime et l’aimera toujours (??? mais... mais...), youpi, ils acquièrent un chat et vont se marier (authentique).

Et là, un personnage secondaire amoureux de Kurumi (comme les ¾ des personnages masculins de ce manga) et devant lequel Hakuron avait crâné en violant Kurumi (authentique-bis), vient tuer Hakuron le jour de son mariage. Sans doute parce que l’auteur savait que cette belle histoire ne pouvait durer, qu’un jour Kurumi se dirait « Meeeerde ! Il vend de la drogue ! Le salaud, je le quitte ! »

Fin.
Pourquoi lire Haou Airen ?

L’intérêt de ce shôjo réside principalement dans le fait que l’héroïne ressemble à E.T. Et c’est marrant d’imaginer E.T. violé par un parrain de la mafia chinoise. Enfin, peut-être pas.


 Attention, ici Kurumi est censée révéler toute sa beauté car elle vient d'être maquillée (l'indice est le papier-chemise-hawaïenne en arrière plan). Je vous laisse imaginer sans maquillage...

"Kurumi phones home..."

L’héroïne a également la fâcheuse habitude sur plusieurs pages de ne pas penser à fermer la bouche, ce qui la fait ressembler alors à E.T. croisé avec un oisillon attendant sa béquée : 

"Eek eeek eeek eeek"

Si on lit Haou Airen, c’est aussi pour tous ces petits détails décalés qui ne feront sans doute rire que le lecteur occidental, j’entends par exemple, le fait de voir le terrible mafieux qui est en train de menacer l’héroïne mais chaussé de ses mules ringardes :

Un plan final sur les pieds du héros était-il vraiment nécessaire ?

Voilà.


(source des extraits du manga : http://www.mangahere.com/)